Y Dor koué ?
Assis à la terrasse d’un bar je
regarde vivre la rue. Elle s’anime petit à petit pendant que je commande un steak
de zébu. Première constatation, les filles de Nosy Bé et alentours sont de
sorties. Cheveux lissés et bien coiffés, maquillage à outrance et faux cils, robe
moulante, short jean serré, dressées sur talon aiguilles, décolleté laissant
entrevoir une poitrine généreusement fournie, le tout agrémenté d’une démarche
qui laisse imaginer ce que sera la nuit. La chasse est ouverte et le gibier ne
se cache pas en forêt parmi les lémuriens. Ici on l’appelle « le vazaha »
et il est principalement français ou italien. Âgé en moyenne de 50 à 80 ans,
retraité ou actif et semble t’il fortuné, il a la peau blanche (obligatoirement)
et l’appétit sexuellement endiablé. La musique rameute les quelques égarés. L’alcool
coule à flot au Taxi Bé. Ambatolouk entame une nouvelle nuit de folie. Je remarque
que les vazahas n’ont fait aucun effort quant à leurs habits. De toute façon
les filles s’en fichent car ce qui compte c’est qu’ils aient des ariary. De bons
gros billets verts estampillés 10000, qui leur donne le sentiment d’être les
maîtres de la ville. Les jeunes filles jouent sans retenue de leur charme pour
séduire ces tristes vieillards. Les corps se touchent laissant subtilement
quelques espoirs. L’espoir et la certitude pour le vazaha de ne pas finir la
nuit seul. L’incertain espoir pour la
jeune malgache d’avoir mis la main sur un trésor pour elle seule. Je croise
certains regards nullement gênés de la situation. De l’aveu même des habitants
il n’y a pas besoin de grandes explications. Le vazaha occupe une place
privilégiée dans l’esprit des filles malgaches. Des garçons ont l’honneur d’occuper
un bon emploi et pourtant ils ont l’impression de faire tâche. Ils ne peuvent
rivaliser face à des êtres qui d’un claquement de doigt occupe le terrain
sexuel. Ni leur ventre bedonnant, ni leur état avancé de décomposition ne
freinent ces filles en quête d’amour éternel. Alors la nuit le malgache résigné
reste tranquillement chez lui, laissant l’aire de jeux à de vieux blancs
fatigués et aigris. La rue se vide tout doucement. Les noctambules s’amassent
vers le Djembé tranquillement. A l’intérieur de la boite c’est l’effervescence.
Il faut boire, danser, s’amuser à titiller les sens. Cette nuit c’est sûr il n’y
aura aucune pitié. Celle qui aura joué les saintes ni touche rentrera
bredouille, non accompagnée. Pour les autres le vazaha est le grâle absolue. De
l’or à deux jambes qu’il faut faire marcher jusqu’au mariage voire plus. Ambatolouk
connaitra bientôt quelques naissances. Des enfants attendus comme pour sauver d’une
misère qui fait preuve de résistance. La mort attend aussi quelques couples
ainsi formés. Trop jeune, trop vieux, trop d’écart pour que subsiste un amour
facilement acheté. Mais tant pis, la nuit prochaine on remet les compteurs à
zéro. On ressortira la robe moulante au raz des fesses pour un nouveau numéro. La
chasse sera de nouveau ouverte. Le vazaha peut dormir tranquille il ne sera pas
traqué telle une bête. Il jouit d’un statut spécial, d’un passe droit, qui lui
ouvre les portes de cœurs en plein émoi. Sans doute un jour la révolte sonnera.
Les malgaches sortiront de leur réserve pour prendre le pouvoir. Ils arriveront
à conquérir ces femmes qui les fuient sans un regard. Ils feront d’elles leur
compagne malgré la présence des vazahas. Un jour sans doute mais d’ici là la
tolérance vaudra pour acceptation. L’économie donne à la situation un goût
proche de la normalisation. Le malgache sait se contenter de peu depuis sa
naissance. Et il y a d’autres batailles à mener ne serait-ce que pour se
remplir la panse. Alors les vieux vazahas qui souhaitent à tout prix fuir les
clubs 3ème âge de France et d’Italie, peuvent venir à Nosy Bé, ils y
seront très bien accueillis.